Alpinisme et nostalgie. Salam.

Sur le retour, Arcadia enfin en vue, c'est une gamine au chameau bien chargé - moins qu'il ne l'a été - qui observe la vue de son "chez elle". Elle avait songé à ne pas revenir, mais son ami lui avait fait changer d'idée. Tant mieux. Elle le sut en ressentant la bouffée de chaleur qui lui emplissait le corps à la vue de la "maison". Bientôt là.

Elle avait fini par tenir sa promesse, appelant presque quotidiennement, pour préciser qu'elle était toujours en vie. Sa radio était restée silencieuse le reste du temps. Elle ne fut néanmoins pas étonnée quand elle émit le grésillement caractéristique d'une demande de contact, étant en vue, ça devait être le Russe qui lui faisait un coucou.

Ce ne fut pas la voix de Kaias qu'elle entendit cependant, et elle fronça les sourcils au son de l'accent à couper au sabre (au moins) et aux mots qui ne voulaient rien dire. Le tempérament relativement pur, si si, de la gamine fit qu'elle ne comprit pas vraiment les allusions, l'envie mise à part, qui était plus que claire, lui portant le rouge aux joues, à moins que ça ne soit le soleil, son compagnon de ces dernières semaines.

Le sanctuaire... les fruits... Il parlait d'Arcadia ? Sans doute...

- Le sanctuaire a le goût de la pierre rouge et du sable... Les fruits sont peu nombreux, bientôt pourris, s'ils n'ont pas été mangés... Il faudra attendre l'automne pour de belles pommes fermes.

Répondre, par mécanisme, une voix douce, sans aucun doute féminine, avec la pureté de la jeunesse en sa sonorité. Pas très chantante, musicale cependant, ça faisait du bien de parler, malgré le fait qu'elle ait toujours préféré le silence aux discussions. On lui avait dit qu'il ne fallait plus rester sans réponse, que c'était important qu'on puisse la joindre, ça éviterait qu'on s'inquiète encore et qu'on revienne la chercher dans l'immensité sablonneuse, en gaspillant de précieuses ressources. L'automatisme de la réponse n'allait pas sans l'interrogation sur l'identité.

- Je ne me souviens pas de toi... Tu es ?

Un végétarien, à coup sûr, en tout cas, quelqu'un qui aimait manger des pommes. C'était plutôt rare, de ce qu'elle en savait. Les gens mangeaient ce qu'ils trouvaient, et se satisfaisait parfaitement de viande, si on leur donnait le choix.

- Je ne suis pas une...

Fleur du désert ? Il avait continué avec ce nom... Elle ne sut pourquoi elle lui donna une des traductions possibles du sien, selon les tons employés.

- Je suis Concubine de Jade. Hayat...

Hasard ou coïncidence ? Une des enfants de chez les "maitres" portait ce nom, à moins que ça ne soit "Ayate"... Il n'empêche qu'elle n'était plus de ce monde, celle de sa connaissance.

- Il y a longtemps que "Ayate" est retournée parmi les Dieux, en paix.

Elle répondait dans le désordre, s'en foutait un peu. Assise sur son chameau, elle cherchait du regard l'endroit où elle pourrait poser son campement pour la nuit, avant de rentrer enfin à la maison, et, comble du luxe, se laver avec de l'eau ! Le sable, ça rapait quand même pas mal la peau.

Ses fruiteries... Il causait bizarrement quand même...

- Tu verras les fruits quand tu viendras ! Tu pourras sans doute y toucher, mais il faudra sans doute demander et ne pas te servir sans autorisation.

Bah ouais, c'était comme ça à Arcadia, tout se partageait ou presque, mais on ne volait pas. Quant à ses dessous... Elle observa ce qui était sous elle, la selle du chameau, le chameau lui même...

- Mes dessous... De cuir et de fourrure douce et chaude. Humides encore, bien qu'elles (les bosses du chameau) aient besoin d'être emplies à nouveau... Quelques morceaux de métal les ornent.

Il posait quand même des questions étranges, cet Imad... M'enfin, ça l'amusait.

- Je répare ce qui est cassé, j'améliore les choses brisées, je leur redonne vie. Je crée.

On est artisane ou on ne l'est pas. Et la môme ne causait absolument pas de l'âme, mais bien d'objets.

- Et toi ?

Toi, tes dessous ? Toi ta spécialité ? Au choix.

Les sourcils de la brunette se froncèrent alors que la conversation suivait son cours. D'une infectionnerie ? Plébards et infirmes ?

- Elle... elle n'avait pas vraiment le choix... Ayate s'était éteinte, elle ne souriait plus et faisait ce qu'on lui disait de faire, sage et obéissante.

Son Ayate à elle, avait douze ans, à l'époque, elle était son aînée, son exemple pour supporter... Mais une soirée de plus au nettoyage des chambres avait été de trop, elle n'avait plus parlé ensuite, jamais. Elle avait vu les bleus sur sa peau, le sang qui avait coulé. Non, plus jamais la même. Sa force l'avait quittée, elle ne savait plus lutter alors que son ventre grossissait. Elle était morte en couche, et tant mieux pour elle. Elle-même avait toujours réussi à ne pas attirer leur intérêt, préservée par ses mains trop habiles pour être réduites au silence.

- Elle... Elle n'est plus, pourquoi en parler encore ?

Elle respecta le silence, interloquée qu'une enfant soit dans le souvenir de l'homme. Avait-il fait partie des maîtres ? Peut être, peut être pas. Le monde était petit, le Fract l'était plus encore... Mais non. Et puis, même si... Elle était protégée désormais, elle avait une famille. Une famille réduite, certes, mais une famille sur laquelle elle pouvait compter. Elle n'était plus seule pour lutter.

Que savait-il de ses contrées ? Il avait dû se tromper, pour sûr... Mais ce soir, si proche de la maison, elle se prit l'envie de ressentir une présence, le besoin de discuter encore, elle, la quasi muette qui préférait regarder les pieds des gens que leur visage. Pas du fétichisme, ça non, juste une question d'éducation, elle ne méritait pas de les dévisager, tout en bas de la chaine humaine du respect.
Alors elle continua de discuter, à défaut d'ami, de famille, l'inconnu lui tiendrait compagnie. Et puis, ça n'engageait à rien, au fond.

- Je suis seule aussi. Je perçois au loin, les montagnes et les marais. Je suis dehors, sur la pente descendante d'une dune...

Elle mit pied à terre, laissant son chameau se balader un peu avant de s'allonger, elle le rejoignit, se blottit contre sans quitter sa radio.

- Les murs rouges de la cité sont là bas, bientôt j'y serai, la lune n'est pas levée encore, toujours à prendre son temps avant d'éclairer le monde... Le joyau souterrain...

Le cinéma, peut être ? À moins qu'ils ne parlent pas de la même chose... Tant pis, elle parlerait de ce qu'elle connaissait...

- Le souterrain... Il est sombre, noir, froid, mais parfois, la magie peut opérer, il se fait réparer, il a été abandonné un temps... Quand ce sera fait, les couleurs, les sons, seront comme avant, et nous pourrons rire, et rêver... Les tentures et les sièges sont rouges, sombre, pourtant ça n'est pas du sang... Les tissus sont doux... Comme la peau de la pêche.

À force de parler du pays...

- Ce qui me manque, c'est la tour, là où je vis. La clarté du soleil au matin, la douceur du drap - après plus d'un mois de désert... - le sourire ami, au réveil... Et l'entrainement qui commence... le travail, dur, faisant suer, qui me laisse éreintée ensuite, prête à m'endormir dans les bras de Morphée...

La voilà qui devenait nostalgique aussi, tiens. Saleté d'étranger.

Ils ne parlaient pas de la même personne, la confusion n'était plus possible. Ni de la même personne, ni du même lieu. En même temps, la gamine se disait qu'il n'était pas plus mal de n'être plus confondue avec une... pute. Quoique. Il pouvait encore croire qu'elle travaillait ailleurs. Cela fit sourire la pucelle qui comptait bien le rester.

- Tu dis qu'elle est en vie... Mais tu parles d'elle au passé. Ta langue a déjà accepté ce que ton cerveau refuse de croire. Combien de temps depuis que tu l'as vue ?

Combien de temps, combien de rides, combien d'hommes ont pris ta place ? Elle ne le dit pas, n'ayant guère envie de se faire un ennemi... Quand elle serait dans les murs, ça serait peut être une autre histoire...

- Arcadia...

Elle sourit, à l'est, là où elle se trouvait, apparurent les premières étoiles, ciel dégagé, nuit fraiche. Elle avait avancé longtemps, ne prenant son repos que le soir, cette fois.

- C'est chez moi, Arcadia. Demain, j'y serai à nouveau.

C'était loin, demain ! Mais elle n'était pas paumée, elle ne s'était pas paumée, d'ailleurs. Les étoiles avaient fait leur part de boulot, ses yeux le reste, elle revenait chargée, elle n'était pas sortie pour rien.

La mauvaise foi... Mais foin de tracasseries, elle n'en ajoutera pas à la peine ou l'inquiétude de l'inconnu. Elle n'était pas mauvaise, la môme, même si le faire tourner en bourrique, sans vraiment s'en rendre compte, à l'école du quiproquo, l'avait amusée.

Question faune, là où elle se trouve, à part les puces des sables et celles de sa monture - les siennes, désormais - elle n'était pas gênée. Le soleil continuait de disparaitre tandis que ses yeux scrutaient les étoiles qui, elles au moins, n'avaient pas changé.

- En espérant que votre guide soit bien choisi... Je ne sais pas ce qu'il se passe en ce moment, à la maison.

Oui, elle donnait des nouvelles, mais elle n'avait pas encore le réflexe d'en demander, un jour, peut-être... Tant que sa famille vivait, tout allait bien, la suite, elle serait au courant en rentrant.

- Je parle peu, d'ordinaire, donc je ne suis pas une pipelette, en effet.

La comprenance, elle avait du mal à l'avoir elle aussi... Quant aux pipes, elle n'avait jamais vu que celles qui se fument, sans pour autant y toucher.

- Je ne cherche à attirer aucun mâle, tu as demandé ce qu'il y avait dessous moi, je te l'ai décrit, ce qui était sous moi. C'est de fourrure et c'est humide. C'est baveux et ça porte du métal et du cuir... De quoi as-tu cru que je parlais ?